Depuis bientôt un an, Isabelle Van Grimde et son équipe travaillent à la mise en place d’un prototype de réalité virtuelle autour de l’œuvre EVE 2050.
Cette nouvelle aventure est née d’une collaboration avec l’UQAT, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, après de longues périodes de discussion autour de l’intérêt artistique et scientifique d’un tel projet, autant pour la compagnie Van Grimde Corps Secrets que pour les étudiants en maîtrise de l’université.
En 2018, Marilene Oliver, artiste associée de la compagnie, crée Deep Connection, une œuvre de réalité virtuelle qui interpelle et touche profondément Isabelle Van Grimde, renouvelant son intérêt pour l’évolution de cette technologie qu’elle suit de près, lui montrant une partie du champ des possibilités offertes, et faisant naître la nécessité d’enclencher le travail autour d’un prototype.
Une innovation dans la réalité virtuelle séduit également Isabelle Van Grimde : la création de l’Oculus Quest. Jusqu’à présent, les utilisateurs des casques de réalité virtuelle étaient contraints dans leurs déplacements par des câbles et la nécessité d’être guidés par une autre personne, pour ne pas se mettre en danger. L’Oculus Quest, technologie utilisée par l’UQAT, est totalement sans fil et s’adapte à un espace défini pour que l’utilisateur ne soit jamais susceptible de déplacer certaines limites et de heurter un obstacle. Le corps du spectateur est ainsi libre de tout encombre et peut entièrement se plonger dans cette autre réalité, une condition sine qua non pour Isabelle Van Grimde. Cette technologie continue même son évolution et permet maintenant de diriger l’expérience à mains nues, sans manettes.
Consciente des contraintes financières, de ressources humaines, de matériel et de temps de réalisation d’un tel projet, il était évident pour Isabelle Van Grimde qu’un prototype devait précéder la construction d’une expérience artistique complète. Pour réaliser ce prototype, la compagnie Van Grimde Corps Secrets a offert aux étudiants de l’UQAT les recherches artistiques et scientifiques autour du triptyque EVE 2050. Ces documents leur sont précieux pour comprendre le contexte de l’œuvre, mais également tout l’univers l’entourant et ses modes de fonctionnement organiques. Pour compléter ces données, Isabelle Van Grimde et la danseuse Sophie Breton se sont déplacées à Rouyn-Noranda pour enregistrer les mouvements de l’avatar d’EVE 2050 à l’aide de nombreux capteurs (MOCAP Motion Tracking System).
Les premières images ont été livrées à Isabelle Van Grimde pendant le confinement. Grâce à la plateforme Discord, favorite du monde du jeu vidéo, tous les acteurs de la création de ce prototype ont pu travailler de manière sécuritaire et efficace, à distance.
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Créer un prototype de réalité virtuelle autour d’une œuvre comme EVE 2050 nécessite un travail de création hors du commun, car les textures, les mouvements et les formes qui composent son univers étaient jusqu’ici inusités dans cette plateforme de diffusion plus proche du jeu vidéo que des arts scéniques et de la biologie. En effet, si la potentielle œuvre de réalité virtuelle intégrera certainement des films de danseurs à 360°, le prototype se base sur une création exclusivement virtuelle. L’expérience est conçue pour que le spectateur visite la tour, présente dans le premier chapitre de la série web, Origin, dans laquelle sont explorées de nouveaux rituels de reproduction, de naissance et de mort.
La tour est l’espace physique dans lequel le spectateur se déplace, grâce à un ascenseur qui le transporte d’un étage à l’autre. La tour présente dans le scénario d’EVE 2050 a été construite à l’aide de bactéries ; ce bâtiment est vivant, c’est un corps qui a poussé. La texture qui a été choisie pour signifier cet organisme est semblable à de la résine, en forme des alvéoles de ruche, avec des tons d’ambre, bien loin du plus classique béton, du verre, et des métaux habituellement utilisés dans ces expériences.
Les liens entre la réalité virtuelle et le jeu vidéo étant très étroits, les premiers avatars construits par les étudiants de l’UQAT étaient d’apparence virile, musculaire et guerrière, quand Eve est un personnage plus organique et féminin. La création de l’avatar, qui n’est plus tout à fait humain, mais pas encore cyborg ou hybride, a été un défi. Un travail poussé a donc lieu sur sa forme, entre l’androgyne et le féminin. Le travail habituellement fait sur les costumes est fait sur la texture de la peau car, dans cette temporalité, la science a évolué pour adapter le microbiome humain, pour que la peau soit adaptée à l’environnement dans lequel elle est, et n’ait plus besoin de vêtements.
Le travail sur le mouvement est une étape importante du processus, car EVE 2050 est avant tout une oeuvre façonnée par la danse et créée par une chorégraphe. Lors de la capture de mouvements (MOCAP), Isabelle Van Grimde et Sophie Breton ont adapté leur travail pour exagérer chaque partie du mouvement, pour qu’il puisse être transcrit dans toute son articulation et sa richesse, dans le but de restituer toute l’amplitude et la qualité du mouvement réel.
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En tant que directrice artistique, Isabelle Van Grimde fait face à des défis nouveaux, mais également à des possibles multipliés : « Chaque étape de création permet de nouvelles choses, la série web nous a permis des choses impossibles dans l’installation, comme l’installation nous a permis de nouvelles choses par rapport à la pièce scénique. Ce prototype de réalité virtuelle repousse une nouvelle fois les frontières de ce que nous pouvons faire avec EVE 2050 », explique la chorégraphe.
Dans le prototype de réalité virtuelle, le spectateur se retrouve au cœur de cet univers, au cœur de l’action, et au beau milieu de l’espace. En effet, parce que la tour qu’il visite est située dans l’espace, il peut apercevoir des planètes à travers les ouvertures.
En enfilant le casque de réalité virtuelle, nous sommes transportés dans un nouvel espace où l’on peut, comme dans notre monde, se déplacer, toucher des objets et interagir avec ce qui nous entoure. Cependant, une manipulation maladroite peut téléporter l’utilisateur hors de la tour, et dans l’espace. Une expérience qu’Isabelle Van Grimde décrit comme « insupportable » pour l’esprit humain, qui voit des milliards de kilomètres de vide en dessous et autour de lui, sans aucun avertissement ou préparation.
« Lors d’un essai du prototype, j’ai approché Eve et je l’ai touchée. Tout a commencé à vibrer, l’avatar d’Eve, la tour, mon casque. Une autre fois, les développeurs m’ont piégée en programmant Eve pour qu’elle entre dans l’ascenseur sans moi, me laissant sans issue dans la tour », raconte Isabelle Van Grimde. Ces bugs et fonctionnalités du prototype en construction rendent l’expérience plus vivante, de par la spontanéité de la maladresse dont ils témoignent.
L’avatar d’Eve réserve aussi son lot de surprises, dans le trouble qu’il cause quand on le rencontre. Isabelle Van Grimde raconte qu’elle a été profondément bouleversée la première fois qu’Eve a bougé car cet avatar, créé de toutes pièces depuis son imagination, prenait vie devant elle. Il reste cependant beaucoup de travail à faire sur le codage des mouvements d’Eve, pour qu’ils soient aussi expressifs et précis que ceux de Sophie Breton.
Cette expérience de création d’un prototype de réalité virtuelle comme quatrième partie du ‘’triptyque” EVE 2050 permet de mettre en pratique beaucoup de trouvailles faites pendant la phase de recherches scientifiques et d’aller plus loin dans l’exploration du thème. « En tant que créatrice, je suis extrêmement privilégiée et reconnaissante d’avoir pu faire l’expérience de cette plateforme, et d’avoir eu un tel projet à développer pendant le confinement. » – Isabelle Van Grimde.
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La réalité virtuelle s’annonce comme un nouveau territoire extrêmement intéressant pour la danse, et inversement. Le fait qu’un directeur artistique, chorégraphe dans le cas d’Isabelle Van Grimde, soit le créateur et le décideur dans la construction de ces expériences permettra à cet outil de se développer et d’étendre ses possibilités et horizons pour refléter une plus grande variété d’esthétiques et de visions. Il est important qu’une diversité d’artistes s’empare aujourd’hui de ces nouveaux outils, pour enrichir leur évolution et offrir au public une grande variété de sensibilités. C’est aussi un formidable nouveau terrain de jeu pour la danse et son public.
- Thomas Thevenet, finissant, membre du collectif Flotoyo et stagiaire à la compagnie Van Grimde Corps Secrets
- Yohji David, finissant, membre du collectif Flotoyo et stagiaire à la compagnie Van Grimde Corps Secrets
- Florian Clar, finissant, membre du collectif Flotoyo et stagiaire à la compagnie Van Grimde Corps Secrets
- Michell-Eve Clavette
- Mathieu Perreault
- Casey Côtes-Turpin
- Estelle Guingo
- Isabelle Van Grimde
- Thom Gossage
- Sophie Breton
- Iloé Françon