© Photo : Jérôme Delapierre; interprète : Chi Long
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François-Joseph Lapointe
Département de sciences biologiques
Université de Montréal
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« Chez l’humain, les études métagénomiques ont révélé que moins de 50 % des cellules qui composent notre corps sont des cellules humaines; les autres cellules sont d’origine bactérienne. Ces résultats soulignent que le génome humain n’est qu’un seul des nombreux génomes qui affectent Homo sapiens »
Le premier génome complet à avoir été séquencé et assemblé est celui du virus de la grippe, Haemophilus influenzae [1]. Depuis, les génomes complets de 4026 autres virus et de 3316 espèces de bactéries ont été entièrement assemblés. Faisant suite au Projet du Génome Humain [2], le séquençage complet de nombreux génomes est aujourd’hui couramment utilisé en microbiologie pour étudier la diversité bactérienne. Alors que l’objectif initial de la génomique – l’étude de l’ADN – a été modifié afin de considérer l’ARN (transcriptomique), les protéines (protéomique), les métabolites (métalobomique), ainsi que les interactions entre les différentes molécules (interactomique), la génomique environnementale (métagénomique) s’intéresse plutôt à la caractérisation et à la comparaison de la diversité microbienne au sein d’échantillons environnementaux [3]. La métagénomique est une discipline qui permet l’étude globale de données génomiques des communautés microbiennes, contenant parfois plus de 10 000 espèces.
Chez l’humain, les études métagénomiques ont révélé que moins de 50 % des cellules qui composent notre corps sont des cellules humaines; les autres cellules sont d’origine bactérienne [4]. Ces résultats soulignent que le génome humain n’est qu’un seul des nombreux génomes qui affectent Homo sapiens [5]. La biologie humaine ne peut donc plus porter uniquement sur des cellules humaines. La découverte de ce qu’on appelle le microbiome humain [6] a révolutionné la façon dont les scientifiques définissent notre espèce et les philosophes délimitent les frontières de notre corps [7]. Ce microbiome est un métagénome plastique qui change en fonction de l’environnement et de l’état de santé du sujet [8, 9]. Il varie entre les individus et au sein du même individu, à un degré tel que les différents échantillons du microbiome associé à une partie du corps (la peau) sont plus semblables au sein de la population humaine qu’ils ne le sont pour d’autres sites (l’intestin, la bouche, le vagin) chez un même individu [10].
S’il est vrai que le microbiome constitue une partie essentielle de notre « être », notre identité métagénomique n’est pas coulée dans le béton. Elle fluctue au quotidien, au gré de nos actions et de nos rencontres. Bien que le génome soit fixe, notre microbiome est malléable et adaptable. On peut le transformer à sa guise pour améliorer sa concentration, perdre du poids, être plus créatif, améliorer ses performances sexuelles, ou guérir certaines maladies [11]. Déjà, la transplantation du microbiome intestinal est utilisée pour traiter des cas de diarrhée chronique [12]. Plus récemment, il a été proposé de faire une greffe de microbiome vaginal de la mère, afin de rendre le microbiome des enfants nés par césarienne semblable à celui des enfants nés par voie vaginale [13]. Dans un avenir prochain, pourrons- nous également déterminer la personnalité de notre progéniture en agissant directement sur le microbiome?
La somme des cellules bactériennes qui composent mon propre corps pèse autant que mon cerveau. Sans elles, nul être humain ne pourrait survivre. À cause d’elles, je serai petit ou grand [14], svelte ou obèse [15], dépressif ou heureux [16], hétéro ou gay [17]. Les relations complexes qu’entretient l’espèce humaine avec les microbes, virus et bactéries qui nous entourent participent à la co-construction de mon identité. Est-ce que mes comportements sont affectés par mon microbiome? Est-ce que mes choix alimentaires [18] sont influencés par les préférences de mon microbiome? Est-ce que mon microbiome est un ami ou un ennemi? Comment ce microbiome transforme-t-il mon rapport au monde extérieur? Est-ce que je peux transmettre mon microbiome? Qui suis-je sans mon microbiome?
Sans nul doute, j’habite le monde microbien. Les microbes vivent sur mon corps comme à l’intérieur de celui-ci. Chaque orifice de mon enveloppe corporelle est peuplé par des millions de microbes différents. Dès que j’ouvre la bouche, je respire des microbes, j’avale des microbes, je digère des microbes et je défèque des microbes. Quand j’embrasse ma partenaire, je partage avec elle mes microbes. Nous faisons tous deux partie d’un réseau complexe de microbes. Si le génome humain est considéré comme le Livre de la vie, le métagénome peut être, quant à lui, considéré comme la Bibliothèque de la vie. Nous ne sommes pas seulement définis par la somme de nos gènes, mais par la somme de tous les gènes du microbiome humain. Dès lors, de nouveaux concepts doivent s’étendre au-delà des limites traditionnelles de notre propre chair pour y inclure nos communautés microbiennes résidentes [19].
Outre ces importantes contributions à la science, la recherche métagénomique soulève une question fondamentale. Que restera-t-il d’Homo sapiens en 2050? Un nombre important de chercheurs en appellent à une re-définition de l’espèce humaine. Après tout, s’il est vrai que la plupart de nos gènes ne sont pas des gènes humains, en quoi sommes-nous encore des humains? Notre génome conserve des vestiges de son ascendance bactérienne [20] et virale [21]. Homo sapiens est une chimère. Il est mieux défini comme un super-organisme – une collection de cellules agissant de concert au service du bien collectif, un organisme au sein duquel un grand nombre d’espèces différentes coexistent [22]. Les recherches sur le microbiome humain participent de ce nouveau concept d’individualité biologique, un nouveau paradigme qui nous libère de notre destin génomique en redonnant à l’individu l’entière liberté de ses choix et de leurs conséquences, un nouveau champ des possibles qui lui permet de transformer son identité en modifiant la composition de son microbiome.
Références
[1] Fleischmann RD et al. 1995. Whole-genome random sequencing and assembly of Haemophilus influenzae Rd.
Science 269 : 496-512.
[2] International Human Genome Sequencing Consortium. 2004. Finishing the euchromatic sequence of the human genome. Nature 431 : 931-945.
[3] Wooley JC, Godzik A, Friedberg I. 2010. A primer on metagenomics. PloS Computational Biology 6 : e1000667. [4] Sender R, Fuchs S, Milo R. 2016. Are we really vastly outnumbered? Revisiting the ratio of bacterial to host cells in humans. Cell 174 : 337-340.
[5] Yang X et al. 2009. More than 9,000,000 unique genes in human gut bacterial community: Estimating gene numbers inside a human body. PLoS One 4 : e6074.
[6] Turnbaugh PJ et al. 2007. The human microbiome project. Nature 449 : 804-810. [7] Hutter T et al. 2015. Being human is a gut feeling. Microbiome 3 : 9.
[8] Caporaso J et al. 2011. Moving pictures of the human microbiome. Genome Biology 12 : R50.
[9] Yatsunenko T et al. 2012. Human gut microbiome viewed across age and geography. Nature 486 : 222-227.
[10] Pflughoeft KJ Versalovic J. 2012. Human microbiome in health and disease. Annual Review of Pathology: Mechanisms of Disease 7: 99-122.
[11] Cho I, Blaser MJ. 2012. The human microbiome: at the interface of health and disease. Nature Review Genetics 13 : 260-270.
[12] Petrof EO et al. 2013. Stool substitute transplant therapy for the eradication of Clostridium difficile infection: ‘RePOOPulating’ the gut. Microbiome 1 : 3.
[13] Dominguez-Bello MG et al. 2016. Partial restoration of the microbiota of cesarean-born infants via vaginal microbial transfer. Nature Medicine doi : 10.1038/nm.4039.
[14] Schwarzer et coll. 2016. Lactobacillus plantarum strain maintains growth of infant mice during chronic undernutrition. Science 351 : 854-857.
[15] Brahe LK, Astrup A, Larsen LH. 2016. Can we prevent obesity-related metabolic diseases by dietary modulation of the gut microbiota? Advances in Nutrition 7 : 90-101.
[16] Bradshaw g H et al. 2015. Altered fecal microbiota composition in patients with major depressive disorder.
Brain, Behavior and Immunity 48: 186-194.
[17] Bradshaw CS et al. 2014. The influence of behaviors and relationships on the vaginal microbiota of women and their female partners. Journal of Infectious Diseases 209: 1562-1572.
[18] Vanamala JK, Knight R, Spector TD. 2015. Can your microbiome tell you what to eat? Cell Metabolism 22 : 960-961.
[19] Sleator RD. 2010. The human superorganism: of microbes and men. Medical Hypotheses 74: 214-215.
[20] Alvarez-Ponce D, McInerney JO. 2011. The human genome retains relics of its prokaryotic ancestry: Human genes of Archaebacterial and Eubacterial origin exhibit remarkable differences. Genome Biology and Evolution 3: 782-790.
[21] Malik HS. 2012. Retroviruses push the envelope for mammalian placentation. Proceedings of the National Academy of the Sciences of the USA 109: 2184-2185.
[22] Goodacre R. 2007. Metabolomics of a superorganism. Journal of Nutrition 137 : 259S-266S.